HORS SUJET
CHRONIQUES D'UN PARFAIT SCANDINASE
« Cet
homme a payé tant de gloire
Par
des malheurs que la mémoire
Ne
peut rappeler sans effroi. »
Victor Hugo, in Au Colonel G-A Gustaffson à l’époque où le poète préférait Gustave
à Napoléon. Il changera d’avis.
Il
est né roi, il est mort colonel. Il avait hérité d’un royaume puissant, il a
laissé en pays en pleine crise. Bien sûr, Gustave IV de Suède a manqué de
chance, arrivant au pouvoir dans une époque troublée. Cependant, la grandeur de
son échec ne tient pas seulement au hasard, mais aussi à des remarquables
qualités de perdant dont il sut faire preuve tout du long de sa vie. Portrait
d’un loser de haut vol.
Pourtant, comme on l’a dit, tout partait
plutôt bien dans la vie du jeune Gustave qui voit le jour à la Cour de Suède le
1er novembre 1778. Son papa, Gustave III, est du genre sacré
costaud. Devenu roi à la suite d’un coup d’Etat, le « Gus » a
réorganisé son pays de manière drastique. Il reprend tous les pouvoirs au
Parlement, et applique un concept à la mode à l’époque, celui de despote éclairé. En gros, le Roi décide
de tout, mais comme il le fait bien, tout le monde n’a qu’à fermer sa gueule.
Faut avouer que Gustave III fait plutôt du bon boulot. Il abolit la torture,
rend l’enseignement primaire plus facile d’accès, améliore la condition des
paysans grâce à des mesures audacieuses. Mieux : il fout même une branlée
à la Russie en 1790, reprenant quelques territoires. Surtout il force
l’impératrice Catherine II à signer une paix humiliante après avoir perdu 7000
hommes dans la bataille. Bref, normalement, « Gus Jr » a de quoi
tenir. Oui, du moins s’il est bien le fils de Gustave III. Lorsque
Gustave-Adolphe naît en 1778, ses parents sont en effet mariés depuis … 18 ans,
sans jamais avoir eu d’enfant jusque là. De quoi alimenter bien des soupçons
sur son illégitimité. Et le pire, c’est que vu comment il va se planter, on ne
serait pas étonné que Gustave IV n’ait finalement rien à voir avec son prétendu
père. Lorsque ce dernier est assassiné en 1792 au cours d’un bal masqué, Jr
monte sur le trône. Il a alors seulement 14 ans, et va laisser la régence à son
oncle, Charles. La régence n’empêche pas le jeunot de faire ses premières
conneries. Et de dévoiler son remarquable don pour la politique étrangère. En
1794, il est sur le point d’épouser Alexandra Pavlona, infante de Russie. Mais
renonce au tout dernier moment, alors que les festivités sont prêtes. Non
seulement la Suède passe à côté d’une alliance solide avec la Russie, mais en
plus l’impératrice Catherine III, humiliée en gardera une rancune sévère contre
le jeune souverain. Un an plus tard, Gustave parvient à se mettre à dos le
Danemark. Il donne en effet le droit de naviguer aux Anglais sur un espace
proche de Copenhague, ce qui déplait beaucoup à ses voisins. Des siècles plus
tard, les Suédois et les Danois ne peuvent toujours pas se piffer. Du beau
boulot. Pour que la performance soit complète, Gustave se brouille enfin avec
la France. Il est très bon pote du duc d’Enghien, basé à l’époque en Suisse. Très
bon pote du duc d’Enghien, Gustave décide de faire la gueule à la France quand
celui-ci est exécuté par Napoléon en 1804. Mettant fin à 20 ans de bonnes
relations entre les deux pays. Bref, en à peine quelques mois, la Suède a réussi
à perdre tous ses soutiens dans la région, en tension avec la France, la Russie
et le Danemark. Du génie diplomatique rare. Gustave pour résoudre le conflit
israélo-palestinien ?
Mais le meilleur est à venir. Lorsque
Napoléon décide de conquérir toute l’Europe, juste comme ça, « Gus
Jr » se range bien sûr dans la coalition antifrançaise. Il rêve alors
d’égaler les performances militaires de Papa, pour que tous ses opposants se la
ferment une bonne fois pour toutes. Il fait donc venir son armée en Prusse en
1805, mais … trop tard. Napoléon a déjà vaincu à Austerlitz quand les Suédois
débarquent. Gustave tente en vain de croiser les armées du Corse pendant
plusieurs semaines, avant de repartir, tout penaud, chez lui. Encore tout
énervé, il engueule la Prusse qui a alors fait la paix, lui reprochant de
l’avoir privé de gloire militaire. En réponse, les Prussiens attaquent la
Suède, et mettent en déroute l’armée de « Gus Jr ». Se rendant
compte que le nouveau roi est beaucoup moins bon que son prédécesseur, les
Russkofs décident de réagir. Ils signent en 1808 la paix de Tilsitt avec
Napoléon, où les deux Empires décident de se partager la Suède. Oui, la même
combine tordue qu’en 1939 avec le pacte de non-agression. Et oui, ça terminera
de la même façon avec Napoléon assaillant la Russie juste après, comme Hitler
en 1941. Quand on vous dit que l’Histoire se répète… La Russie envahit donc la
Suède la même année. Gustave part à la tête de ses troupes, mais attaqué sur
plusieurs fronts, il se fait tailler en pièces. La Finlande est conquise par
les armées russes, qui l’annexent, alors que la région appartenait à la Suède
depuis le 12e siècle ! Sentant le bon coup, les Danois,
toujours énervés du sale coup que leur a fait Gustave en 1792, se lancent à
leur tour à l’attaque, et se rapprochent petit à petit de Stockholm. Cerné de
tous les côtés, sans aucun véritable allié, « Cumulo Nim-Gus » récolte
les fruits de 20 ans d’une politique étrangère très performante. Conséquence
directe : il se fait renverser par un complot de nobles suédois en 1809.
Comme tout loser qui se respecte, Gustave essaie de s’évader, et se foire,
étant désarmé deux fois... « Gus Jr » abdique le 19 mars, signant un
papier où est écrit : « Nous
regrettons de ne pouvoir faire le bien de cet ancien royaume ». On
aurait pas dit mieux…
Là où Gustave est un perdant magnifique,
c’est dans sa volonté avouée de bien faire, et sa capacité incroyable à se
planter quand même. Au niveau militaire donc, avec toutes les branlées qu’il
s’est prises, vaincu par la France, la Prusse, la Russie et le Danemark, liste
non exhaustive. Au niveau politique aussi. Ainsi le Roi vend un de ses territoires
vers 1794 dans le but de baisser les impôts de ses sujets. Lesquels ne
retiendront que la perte de terres. Sans même se rendre compte qu’ils ont plus
de sous. De même, si Gustave-Adolphe (tiens
Adolphe en deuxième prénom…) abdique aussi facilement, c’est qu’il espère
que ses fils pourront prendre sa place. Las, accusés d’être illégitimes, ils
sont dégagés de la succession, et c’est son … oncle qui devient roi, sous le
nom de Charles XIII. On n’est jamais mieux trahi que par sa famille. Autre
exemple, une fois démis en 1809, Gustave renonce à sa pension. Un beau geste,
mais qui conduit à la séparation d’avec sa femme, pas folle, et sûrement plus
amoureuse de son trône que de son homme. Comme l’annonce un chroniqueur de son
époque : « Gustave est critiqué
comme un époux sévère envers son épouse : mais un mari peut-il aimer
sincèrement sa femme, sans être sévère avec elle ? ». On a les
soutiens qu’on mérite… Un peu paumé,
Gustave devient « Comte de
Gottorp » et tente de rejoindre une communauté religieuse, les frères
moraves. Qui le refusent, apeurés par sa célébrité, pas forcément reluisante.
Sans se démonter, « Gus » crée son propre mouvement, « Les
Frères Noirs » et appelle à un pèlerinage en terre sainte. Une annonce qui
fait un bide retentissant, sûrement moins entendue que le dernier album de
Magalie Vaé. Déprimé par ce nouvel échec, le comte de Gottorp se fait ensuite
appeler le duc d’Holstein pour
essayer de repartir à zéro. Retenant la jurisprudence
Colomb, il tente d’arnaquer son monde en écrivant sa propre autobiographie,
« Mes premiers faits d’armes »,
où il expose son courage et ses talents tactiques. Problème : personne
n’est dupe, et l’ouvrage passe totalement inaperçu. Manquant de ressources,
« Lard-Gus » est obligé de demander de l’aide au roi d’Autriche, qui lui
donne une pension correspondant à un emploi, dans les alentours de Saint-Gall.
C’est là qu’il décède dans une taverne, dans l’anonymat le plus complet, seul
et ruiné en 1837, près de 28 ans après s’être fait virer du trône de Suède.
Gustave IV de Suède meurt sous le nom du colonel Gustaffson, pseudonyme qu’il
s’était choisi dans les dernières années de sa vie. Tout est dit. Dernière
preuve ridicule de ses rêves de splendeur guerrière.
Bref, si Papa est très fort dans un
domaine, essayez pas de l’imiter, ça ne marche jamais. Vous allez juste réussir à vous
taper la honte. Le seul qui ait jamais fait mieux, c’était George W. Bush et
vous avez vu comment ça a fini. Alors sérieux, abstenez-vous.
Ca vaut pour Gustave IV, mais aussi pour vous, Alexandre Brasseur, Arthur Jugnot, David Halliday, Thomas Dutronc, ou même, toi, Jean Sarkozy. Merci de votre compréhension, les mecs.
Gustave IV accueilli par ses admirateurs à son retour de campagne en 1809. Comme le dit un commentateur de l'époque: "On en a fait le tour. Gustave est fait."