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The New Sydney Fox
24 août 2009

AUSTRALIAN DREAMS: ABORIGINE WAY OF LIFE

POURQUOI JE N'AI TOUJOURS PAS COMMENCE MON DEVOIR POUR DEMAIN

Aujourd'hui, pour la première fois depuis que je suis arrivé à Sydney, je suis allé à la bibliothèque de l'Université.1 Je suis, depuis quelques jours déjà, cerné par des créatures abominables et méprisables inconnues par chez nous, des bêtes immondes et putrescentes que les gens d'ici, appellent, non sans crainte, les research essays.  Ces monstruosités de la nature ont de la cruauté sans borne, et comme toutes les mauvaises choses, elles n'arrivent jamais seules.

 

Me voilà donc surchargé de travail.2 J'ai pu amèrement aujourd'hui constater l'une des plus indiscutables lois de Murphy: les meilleurs documents concernant un essay sont toujours empruntés  quand on les cherche la veille du rendu. Étonnamment, en Australie, comme en France, il semblerait qu'il y ait des individus hors du commun, des forces de la Nature, qui parviennent à s'y prendre à l'avance.3 La tâche terrible qui m'attendait semblait déjà ardue, elle paraissait maintenant impossible.

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Même si je vais -gentiment, comme toujours- me payer sa tête, Karel Kupka reste un excellent ethnologue, auteur d'un travail remarquable à propos de l'art aborigène. Je pense que la stèle ci-dessus évoque assez clairement ses talents nombreux pour que je n'ai pas à m'étendre dessus. Si vous n'êtes pas d'accord, allez voir là-bas si j'y suis : http://www.themonthly.com.au/monthly-essays-nicolas-rothwell-collector-karel-kupka-north-australia-670

Mais, on nous l'a suffisamment répété par le passé, « impossible n'est pas français ». Je décidai de profiter au maximum de ma nationalité, et de rechercher des ouvrages dans ma langue maternelle. Sidéré, je découvris alors que je n'étais pas le premier Français à avoir eu la chance de fouler le sol australien. En 1960, soit près de 49 ans avant moi4, Karel Kupka, un étudiant de la Sorbonne avait franchi les eaux pour découvrir l'hostile contrée océanienne.

 

Pour faire simple, Karel était visiblement un étudiant en art, qui s'intéressait plus spécialement à la peinture aborigène. Sans entrer dans les détails, il faut savoir que chez les premiers Australiens, l'écriture a une importance mineure, voire nulle, ce qui n'en donne que plus d'importance aux dessins et œuvres d'art. Pour sa thèse, Karel a donc décidé de visiter quelques-uns de ces peintres pour mieux comprendre leur importance au sein de leur communauté.

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Un exemple de peinture aborigène, que comme vous le voyez, Karel Kupka a ramené en France, au musée Branly.

En 1960, les aborigènes ont déjà beaucoup subi l'implantation des Européens. Dépossédés durant les siècles précédents de leurs terres, de leur mode de vie, de leur environnement, et même parfois de leurs enfants5, ils vivent dans des grandes réserves, encadrées par des missionnaires méthodistes. Dit comme cela, ça n'a pas l'air terrible, mais Karel s'en félicite, constatant que « la population indigène, qui était constatée avant la guerre comme une race en voie d'extinction, est en augmentation constante et marquée. ».6

 

Je vous arrête tout de suite. Pour l'avoir lu plus précisément, Karel n'est pas raciste. Le mot « race », s'il entraîne des débats sans fin aujourd'hui, était à l'époque communément admis. Il n'y a pas de complexe de supériorité dans la phrase précédente, l'auteur signalant par ailleurs que « les aborigènes sont des gens comme les autres. Ni pires, ni meilleurs. ». Mais s'il conçoit parfaitement l'égalité entre les hommes, le problème chez Karel est qu'il n'est conscient de l'égalité qu'entre les hommes, justement. On dit souvent que la vie chez les aborigènes était un paradis incroyable. C'est peut-être vrai. Mais uniquement pour 50% d'entre nous.

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Pièce historique: l'étiquette du jean de Karel à l'époque où il était en Australie.

Ainsi, Karel Kupka nous offre une première perle, à propos du travail des femmes:

« Ce sont naturellement les femmes qui s'occupent de la cuisine, y compris du ramassage du bois, tout en vaquant à d'autres tâches domestiques. Elles ont peu de loisirs, mais dire avec Désiré Charney que "le rôle de la femme est celui d'une bête de somme" serait trop simpliste. C'est un de ces clichés que reproduisent même quelques-uns des chercheurs les plus sérieux. [...] En mettant l'accent sur le labeur des femmes, on présente souvent les hommes, comme paresseux et profiteurs. C'est un fait que les femmes aborigènes travaillent dur, mais les hommes ne sont pas aussi oisifs qu'on a bien voulu le dire. Entretenir sa famille est une obligation qu'ils prennent aux sérieux. Il leur reste de moins en moins de temps pour leurs loisirs, souvent consacrés aux discussions portant sur leurs lois ou sur leurs cérémonies »

 

Ainsi, les hommes aborigènes, dans leur immense bonté, prennent sur leurs faibles heures de loisirs pour prendre l'ensemble des décisions concernant la communauté, permettant à la femme de ne pas perdre plus de son temps dans cette chose abjecte et ennuyeuse qu'est la politique. Cela force l'admiration, d'ailleurs Karel est admiratif. On ne peut que rester songeur de voir comment il réagirait à la décadence des pays d'aujourd'hui, où les hommes allemands, chiliens, libériens, finlandais, ou argentins pour ne citer qu'eux, ont honteusement laissé des malheureuses s'occuper des lois et du pouvoir.

 

Au passage, appréciez le « les hommes ne sont pas aussi oisifs qu'on a bien voulu le dire ». La formule est magnifique.

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L'homme européen peut cependant se montrer tout aussi prévenant que son homologue aborigène, par exemple en empêchant sa femme de se pourrir les poumons, en profitant du grand air et de la forme permise par un effort régulier.

Karel aborde ensuite un sujet beaucoup plus pénible, celui des formidables traditions aborigènes que les colonisateurs européens ont fait disparaître:

Décidément l'aborigène s'embourgeoise. Cette tendance se manifeste dans la vie familiale. Comment entretenir plusieurs femmes dans les conditions nouvelles? Pour les aborigènes contemporains, la polygamie n'offre plus tellement d'avantages. Beaucoup de jeunes hommes se contentent, faute de moyens d'une seule femme ; deux ou trois, c'est luxe. Les hommes plus âgés, qui en ont imprudemment acquis une demi-douzaine ou plus, s'en plaignent souvent amèrement. Un jour un missionnaire de Miligimbi rencontrait un ancien qui était visiblement en train de quitter la mission, portant pour tous bagages quelques pagaies et un petit sac. Il essaya de l'en dissuader, ayant recours à l'argument qu'il ne pouvait pas quitter toute sa famille, toutes ses femmes, aussi belles que gentilles. La réponse fut lapidaire: "c'est pour cela que je m'en vais. Va vivre toi-même avec elles, tu vas voir!"7

 

Les mots me manquent devant les dommages irréparables causés par l'invasion barbare des Européens.8 Décidément, les aborigènes avaient tout à nous apprendre.

 

BONUS:

A propos de l'hygiène:

Il y a quelques années, ils accordaient peu d'intérêt aux installations sanitaires, acutellement, ils en demandent l'amélioration. Les bacs à laver avec eau courante, et les douches ne sont plus une source d'amusement mais sont appréciés à tel point qu'il est coutumier de voir, surtout à la fin de la semaine, se former une queue devant le bâtiment qui les abrite.

 

À propos des cigarettes (spéciale dédicace à Monsieur H.):

A la question "Pourquoi la vie est-elle trop chère?", l'aborigène mentionnerait le prix élevé du tabac et des cigarettes, tout en se plaignant, sans suite logique, de ne pas pouvoir en acheter autant qu'il en voudrait, alors qu'il en a les moyens. En effet, la vente du tabac est limitée, à un paquet par semaine. Une telle ration ne saurait suffire aux fumeurs invétérés que sont en général les aborigènes des deux sexes. Autrefois, les missionnaires ont tenté de freiner ce vice. Peine perdue, les aborigènes ont tenu ferme. Il est arrivé en 1956, ou en 1957, qu'un missionnaire trop zélé supprimât la ration en entier, il se fit un tel remue-ménage que le missionnaire en question dut être révoqué d'urgence. Aujourd'hui, le missionnaire enverrait plutôt un message radio pour demander qu'on lui amenât dans les plus courts délais et par avion, un approvisionnement suffisant.



1:VDM.

2:Les mauvaises langues diront que je me considère toujours surchargé de travail. Elles auront bien raison.

3:Mes hommages à M. Bézy, M. Bidgrain, Mlle Gressier (entre autres) que j'apprécie énormément, mais dont j'ai la sensation que je ne pourrai jamais les comprendre entièrement.

4:Oui, je sais, mon aptitude au calcul mental est impressionnante. S spé maths, what else?

5:Les Stolen Generations, dont je reparlerai plus longuement une autre fois.

6:Tiré de L'Homme et l'art australiens, de Karel Kupka, éditions de la Sorbonne, 1966.

7:L'histoire ne précise pas quelle a été la position du missionnaire sur cette question.

8:Blague à part,  l'invasion européenne fut bien entendu évidemment barbare, et je tenais juste à casser l'image « parfaite » que l'on offre de la vie des aborigènes, aussi déformée que l'a été la propagande raciste en son temps.

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Commentaires
L
JE SUIS UNE FORCE DE LA NATURE. \o/<br /> <br /> Ben voyons. En plus c'est même pas vrai, je ne m'y prends jamais à l'avance. Juste un peu plus en avance que toi, mais c'est PAS compliqué DU TOUT en même temps. <br /> Et ne t'avise plus jamais d'associer mon nom à ceux de Bézy ou Bidgrain ou ma vengeance sera terrible (souviens toi, je suis une force de la nature). :)
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